Afrique : « Sans politiques sociales volontaristes accroissant le bien-être des populations, il n’y aura pas de développement économique et de révolution écologique »

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Dans un article publié sur le https://legrandcontinent.eu/fr le 16 mai 2023, l’intellectuel panafricain de nationalité togolaise, le professeur Kako Nubukpo, a livré de nouvelles réflexions sur les conditions d’une révolution écologique et sociale en Afrique. 

« L’Afrique est à la croisée des chemins : sans politiques sociales volontaristes accroissant le bien-être des populations, il n’y aura pas de développement économique et de révolution écologique. Si telle bifurcation n’était pas prise, nous vivrions une progression, lente ou rapide, vers le chaos; et ce bien au-delà des frontières africaines », a écrit sans détours le professeur Kako Nubukpo.

En Afrique comme ailleurs, la transition écologique doit s’accompagner d’une transition sociale, vers plus de justice. Les plus défavorisés, bien qu’ils en soient les moins responsables, sont les plus vulnérables au changement climatique, faute de ressources pour s’y adapter. Les paysans d’Afrique subsaharienne sont ainsi parmi les premiers touchés par le dérèglement climatique, qui attaque d’abord l’activité des sols.

Selon l’INRAE (un institut de recherche public), le réchauffement climatique a déjà dégradé 20 % de leur productivité depuis 1980, particulièrement sous les tropiques où les conditions sont plus extrêmes et les sols plus fragiles. Cela concerne les trois quarts des paysannes, les plus nombreuses, et des paysans, qui pourtant produisent encore en Afrique subsaharienne près de 80 % de ce que l’on consommons.

L’Afrique est donc l’une des régions où s’accumulent les défis : alors que sa population doublera encore en vingt-cinq ans, malgré la transition démographique qui s’amorce, la dégradation de la productivité et de la fertilité depuis 40 ans a atteint les limites supportables pour les paysanneries africaines, qui comptent parmi les grandes oubliées du continent. Car les campagnes ont été délaissées.

Les villes ont été préférées au nom de la stabilité politique et d’un progrès pensé sans paysans ; mais elles ont atteint la limite de leurs capacités et ne peuvent plus absorber l’exode rural. Les tendances se poursuivent ainsi malgré aussi les efforts d’adaptation ; ceux-ci avaient pourtant conduit à une amélioration des techniques, agrochimie mais aussi association entre agriculture et élevage, et à une  multiplication de la population depuis 1960, via l’extension des cultures sur les pâturages des éleveurs et les forêts.

Pour ces laissés pour compte dont le nombre va croître, l’avenir ne sera fait que de migrations vers l’extérieur du continent, car les migrations en interne ont déjà eu lieu vers les villes ou les pays les plus riches, jusqu’alors contenues tant bien que mal. Pour ceux qui resteront, l’avenir sera fait de conflits sur les ressources dégénérant en conflits « interethniques », régionaux et intercontinentaux, à l’ombre du terrorisme. De tels conflits ont déjà commencé entre agriculteurs et éleveurs au Sahel et en Afrique Centrale, ou entre rivaux pour les mines, comme en RDC ou au Rwanda.

Pour assombrir encore le tableau, l’on observe un accroissement des ressentiments et des replis identitaires parfois instrumentalisés par le populisme. Ils sont le revers d’une absence de perspective d’avenir et de la revendication d’une vie meilleure. Les jeunes, qui n’ont pas connu les indépendances africaines des années 1960 mais de longs régimes autoritaires, se révoltent aujourd’hui, en ville, mais aussi dans les campagnes. Si l’élan démocratique est brisé et si des réponses concrètes ne sont pas données, les équilibres instables de la géopolitique continentale s’en trouveront menacés, les conflits pouvant même s’exporter au-delà du continent.

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L’échec est claire, surtout lorsque l’on évoque l’immigration clandestine et ses conséquences sur la jeunesse africaine. Le dimanche 21 mai 2023, le ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’extérieur, le professeur Robert Dussey, reconnaissait cet échec collectif qu’il faut corriger. « Apporter des réponses, du local au global, aux enjeux majeurs qui menacent aujourd’hui la survie des populations et la paix mondiale est notre principal défi », renchéri le professeur Kako Nubukpo.

« Il nous faut plus d’emplois et une vie plus digne pour toutes et tous, c’est-à-dire des droits humains civils et cela passera par une redéfinition des priorités et en basant les politiques publiques sur les forces endogènes d’un continent qui n’en manque pas », poursuit-il. Pour ce faire, il est impératif de provoquer un changement qui rende développement, soutenabilité environnementale et bien-être pour tous non seulement compatibles, mais surtout complémentaires : il s’agirait alors d’un futur réellement « soutenable », c’est-à-dire supportable pour tous, et à même d’être « soutenu », en Afrique comme en Occident.

« Il faut renouer avec le meilleur des âges reculés, où l’être humain se savait un être vivant parmi d’autres, idéal maintenant perdu dans notre univers matérialiste », insiste le panafricaniste. Il s’agit de redonner un avenir enviable et souhaitable, au Sud comme au Nord. En Afrique, des forces endogènes existent pour canaliser ces nouveaux élans. Le professeur les ai appelés des biens communs ou des communs à développer. Les communs à promouvoir se situent entre le marché, trop peu efficient, et l’État, trop faible et d’autant plus affaibli par l’ajustement structurel et par sa dépendance aux intérêts des multinationales et des grandes puissances.

Plus encore, il s’agirait de mettre à profit l’inventivité de la jeunesse et sa créativité ; celle-ci, contrainte en moyens, réinvente tous les jours le low tech africain. Car le numérique et la téléphonie mobile se sont révélés des outils puissants d’accès à l’information  : il faut en cultiver les applications économiquement et socialement utiles. Du côté économique, il convient de financer les besoins de politiques publiques d’envergure par des monnaies communes, libérées de la parité confortable mais contreproductive de l’Euro, et par l’épargne inutilisée des classes moyennes, garantie par des financements publics internationaux et adossée à des processus d’intégration régionale.

L’accès de tous à une énergie durable décentralisée : solaire, éolienne, géothermique, hydraulique, est dans ce cadre un objectif tout à fait atteignable et un facteur évident de développement endogène soutenable, conjugué au bien-être des populations.  La capacité des paysannes et des paysans à évoluer vers des techniques plus productives sans motorisation et sans agrochimie agressive, à partir de pratiques agricoles anciennes et de modes d’usages fonciers encore multiples, n’est plus à démontrer.

Par ces techniques pourrait se développer un patrimoine végétal plus résistant aux variabilités climatiques que les paquets techniques standard de la « révolution verte », mais aussi un patrimoine moins dépendant des intrants énergivores des multinationales. Le secteur agricole est la seule manière de concilier raréfaction des énergies fossiles et bien-être de tous,  c’est-à-dire qu’il permettrait de réaliser la justice sociale. Cela passe par l’intensification agroécologique des terres des petits paysans, afin de doubler les faibles rendements actuels, pour leur permettre de nourrir la population et de se nourrir eux-mêmes.

Les circuits courts et la consommation locale doivent devenir la règle et inciter aux transformations artisanales et industrielles des ressources locales. Il convient donc de freiner la croissance des dépendances multiples actuelles. « Ce programme d’envergure a ses conditions : c’est ce que j’ai appelé le néoprotectionnisme, ou plutôt le « juste échange », non pas un dogmatisme, mais un pragmatisme économique », a indiqué l’universitaire togolais. Il s’agit de protéger les paysanneries et les transformateurs africains des concurrences insoutenables des pays développés, en profitant d’une fiscalité protectionniste.

Il faut de surcroît inciter les consommateurs, déjà bien acculturés, à privilégier cet intérêt général, et accompagner les plus pauvres des villes face à l’envolée des prix de l’alimentation. Enfin, il convient d’investir publiquement et massivement dans la modernisation des campagnes et la révolution agroécologique des agricultures paysannes, en somme, une révolution « doublement verte ». « La vie dans les campagnes doit enfin signifier éducation, santé et électrification durable », ajoute le Commissaire en charge de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa.

Pour contribuer à cet investissement écologique immense, les services environnementaux rendus par le continent, notamment par sa paysannerie, doivent être rémunérés à leur juste valeur : en ne déforestant pas davantage ses sols, mais en pratiquant la reforestation ; mais aussi en stockant massivement le carbone dans les sols et la végétation et en développant des énergies durables.

Le Papyrus

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