Assimi Goïta est aujourd’hui considéré comme un héros de la lutte pour la libération des peuples africains du néocolonialisme. À l’instar du père de l’indépendance de la République démocratique du Congo (RDC) Patrice Emery Lumumba, beaucoup pensent qu’il lutte contre l’impérialisme, et ils sont nombreux à le soutenir. Mais, va-t-il réussir à ne pas décevoir ses nombreux partisans maliens et africains ? Peut-on vraiment le comparer à un libérateur de la trempe de Patrice Lumumba, ou à un certain feu John Jerry Rawlings du Ghana dont il est d’ailleurs un admirateur ?
Assimi Goïta, colonel de l’armée malienne, prend le pouvoir en 2020 à la suite d’un coup d’État perpétré contre le régime de l’ancien président feu Ibrahim Boubacar Keïta, à l’époque en difficulté avec la rue. Au départ, il accepte une cohabitation avec Bah N’daw un militaire et homme d’État qui sera désigné comme président de la transition. Mais, très vite, les relations vont se dégrader entre les deux hommes.
Ce colonel de l’armée malienne arrivait difficilement à bien se sentir dans son rôle de vice-président, surtout lorsque lui-même et ses soutiens ont l’impression qu’on veut leur voler leur révolution. L’on reproche à Bah N’daw sa proximité avec l’ancienne métropole, la France. C’est justement la détérioration des relations entre la France et le Mali qui a entrainé le rejet de ce pays par une importante partie de l’opinion malienne et africaine, sans oublier son passé colonial. Les autorités actuelles du Mali reprochent à l’ancien colonisateur de vouloir leur dicter ce qu’elles doivent faire, de les insulter ou de donner des leçons à leur pays.
Ils sont visiblement trop fiers pour accepter le rôle que voulaient jouer Emmanuel Macron et son pays dans cette transition. L’on ne s’étonnera donc pas que le pouvoir malien demande finalement aux troupes françaises de quitter le territoire. Et l’on ne s’étonnera pas non plus de constater le degré de méfiance qui existe entre un pays très proche de la France comme la Côte d’Ivoire et le Mali. Cela s’est illustré par l’affaire des 49 militaires ivoiriens.
Après avoir réussi à s’imposer à la communauté internationale et à mettre ses adversaires hors d’état de nuire, Assimi Goïta gouverne désormais tranquillement à Bamako, et déroule son calendrier, fort du soutien populaire qu’il reçoit et de la loyauté dont il bénéficie jusque-là de la part de ses proches collaborateurs. Son Premier ministre le Dr Choguel Maïga et les militaires lui sont restés attachés jusqu’alors. C’est ce qui avait malheureusement manqué à Patrice Lumumba qui a été trahi par l’un de ses plus proches collaborateurs, Joseph Mobutu. Même si les époques sont très différentes et sont séparées par des décennies d’intervalles, l’histoire semble se répéter.
A l’instar de Lumumba, Goïta tente de rétablir la stabilité de son pays, en recourant à n’importe quel partenaire qui ferait l’affaire dans le respect de la souveraineté et de l’indépendance de son pays. De la même façon que Lumumba a fait appel à l’Union soviétique à l’époque de la guerre froide au risque d’être taxé de communiste et d’en payer le prix, de la même façon, Goïta a fait appel à la Russie dans un contexte de positionnement géopolitique et est mis au banc de la communauté internationale.
De la même façon que Lumumba est devenu l’ennemi à abattre pour les occidentaux (Belgique, Etats-Unis, France etc…) qui voyaient les richesses de la RDC leur échapper, de la même façon, Goïta ne risque-t-il pas gros en se tournant vers d’autres partenaires comme la Russie, la Chine, la Turquie etc… ? Aujourd’hui, une certaine guerre froide est en cours entre les grandes puissances qui se battent pour le contrôle de la planète et de ses richesses. L’Afrique est prise en étau dans cette confrontation.
Le sous-sol africain, le sol africain, le marché africain sont convoités et souvent pris en otage. Un pays et un dirigeant qui tentent de ramer à contre-courant de l’ordre international dominant sont mal vu et deviennent infréquentable pour certains pays selon le camp auquel l’on appartient. C’est une réalité qui a prévalu pendant des décennies. Mais, ces dernières années, il semble que la donne est en train de changer. Beaucoup d’analystes pensent que le sort d’un dirigeant ou d’un pays africain surtout francophone, ne peut plus toujours forcément se décider à l’Elysée ou ailleurs… la France en particulier et les occidentaux en général perdent de plus en plus leur hégémonie sur le continent.
Contrairement à Lumumba, Goïta semble avoir bien assis son pouvoir et en tient fermement les rênes. De plus, le contexte actuel semble lui être plus favorable. Il n’est plus possible d’aller attraper le dirigeant d’un pays, de le torturer et de le faire assassiner dans des conditions floues. À l’instar du capitaine John Jerry Rawlings, Assimi Goïta est peut-être tout doucement en train de remettre son pays sur les rails, en le conduisant vers son indépendance totale vis-à-vis de l’extérieur.
Attention toutefois à ce qui pourrait s’avérer être un piège russe… !
Tout comme les autres puissances, la Russie n’a que des intérêts, elle n’a pas d’amis. Il est vrai que le président russe Vladimir Poutine donne l’impression d’être un souverainiste et non un impérialiste. Il fait tout pour se démarquer des occidentaux qui ont un passif très lourd. Les peuples de plusieurs pays africains ne manquent pas l’occasion d’appeler Poutine et la Russie au secours. Ils verraient bien leurs pays en partenariat avec la Russie, plutôt qu’avec la France et ses alliés qui visiblement n’ont plus la confiance des peuples.
Certains dirigeants comme ceux du Mali, de la Centrafrique etc… ne tardent pas à répondre à ces aspirations populaires. Toutefois, ne s’achemine-t-on pas vers une autre forme de domination préjudiciable aux peuples ? Qu’est-ce qui prouve que la Russie ne fera pas pire dès qu’elle aura la main mise sur les ressources des pays africains ? Il est vrai que dans un monde très ouvert, l’on ne peut plus vivre en autarcie, et que l’on va forcement coopérer avec d’autres pays. Mais, attention à ne pas vendre le charlatan pour acheter le sorcier !
Certains des pays africains qui ont un partenariat militaire avec la Russie hébergent des combattants, des paramilitaires, des mercenaires du groupe Wagner sur leurs territoires. Ceux-ci devraient sérieusement réfléchir à la façon de mettre fin à ces types d’occupations étrangères et prendre en charge leurs propres sécurités, quitte à maintenir cette coopération sous d’autres formes. Les derniers développements entre le groupe Wagner et le Kremlin prouvent à suffisance que la sécurité véritable ne viendra pas d’ailleurs.
Serge Lenoir