L’agriculture familiale africaine est-elle en danger ? L’agriculture intensive calquée sur le modèle occidental avec toutes ses conséquences sur les facteurs de production et le vécu des paysans et leurs familles, va-t-elle prendre le dessus ? Il faut craindre pour les terres africaines, et il faut craindre pour la sécurité et la souveraineté alimentaire. L’Afrique doit préserver ses fondamentaux.
La révolution agricole de l’après-guerre a organisé et déployé la commercialisation en Europe de variétés sélectionnées et homogènes. Cette généralisation fut telle qu’aujourd’hui les paysans européens n’ont plus le droit de disposer comme ils l’entendent des semences de variétés anciennes très diversifiées qu’ils ont sélectionnées au cours du temps. L’Afrique subsaharienne est restée à l’écart de cette intensification agricole que l’on a appelée « révolution verte » en Asie et en Amérique latine.
Mais alors que les subventions au secteur agricole ont été drastiquement limitées par les politiques d’ajustement structurel conduites en Afrique par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international à partir des années 1970, une agriculture familiale y a perduré en utilisant notamment des variétés-populations végétales du même type que celles qui ont aujourd’hui presque disparu en Europe. Malgré les sécheresses et une forte pression sur le foncier agricole, la production par actif agricole a augmenté de 25 % en moyenne en Afrique sur la période 1961-2001 : les rendements ont crû à un taux annuel moyen de 1,6 %.
Aujourd’hui, ces mêmes institutions qui ont négligé l’agriculture, alliées à des multinationales semencières et à des fondations privées très puissantes financièrement, se mobilisent efficacement pour favoriser l’essor rapide d’un marché semencier en Afrique sur le schéma occidental. Dans le modèle agricole promu à partir des années 1950, le fer de lance de la modernisation a été la généralisation de variétés hybrides ou de lignées pures créées pour être performantes dans les conditions de culture artificialisées, c’est-à-dire non limitantes en termes d’eau et d’intrants agricoles.
Cette politique d’intensification a été accompagnée d’un dispositif réglementaire, celui de l’Union des professionnels pour la protection des obtentions végétales (UPOV), taillé sur mesure pour un seul type variétal, celui des lignées et des hybrides dont les génotypes sont fixés, contrairement aux variétés-populations d’antan. Le modèle d’agriculture intensive associé à ces variétés « pures » a fait ses preuves en termes d’augmentation de la productivité mais son coût en termes d’érosion de la biodiversité agricole, de surconsommation énergétique, de pollutions et d’émissions de CO2 devrait logiquement interdire ou limiter ses applications aux pays du Sud.
Le secteur agricole dans les pays africains, amplement dominé par les agricultures familiales, est très largement le premier bassin d’emploi et de revenu de ces pays. C’est pourquoi le dossier actuel du développement et de la réglementation d’un marché semencier est très sensible. Des lois semencières sont en voie de mise en œuvre dans différents pays du continent mais il apparaît que l’on n’ait pas pris la mesure des implications et des risques qu’une réforme aveugle ferait courir à la viabilité des agricultures familiales. Pour cela, la décision des États devrait être éclairée notamment par la recherche publique pour le développement agricole. Ce n’est guère le cas mais certaines alertes commencent à émerger dont cet article se fait l’écho.
Le Papyrus
Source : Clavel, D. (2016). Afrique : une politique semencière sous influence. Natures Sciences Sociétés, 24, 168-172. https://doi.org/10.1051/nss/2016016