À une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Lomé la capitale togolaise, se dressent majestueusement et à perte de vue les bassins rizicoles de la commune du Zio 2 (Kovié, Mission Tové). N’importe quel visiteur a envie de faire une escale pour contempler cette beauté et humer l’odeur particulière du riz qui plane dans la nature. Toutes ces personnes sont loin d’imaginer les problèmes d’eau qui minent le secteur, avec des risques de conflits frontaux. Malheureusement, les armes blanches ne sont parfois pas loin.
Cette zone produit du riz en quantité importante pour le pays. Un peu plus de 800 hectares sont emblavés pour une production d’environ 2 300 tonnes par an. Et comme on le sait, la riziculture exige la maîtrise de l’eau. « Dans notre activité de riziculteurs, l’accès à l’eau est notre défi le plus important », affirme Akoli Bernadette, productrice de riz.
« Pendant la petite saison des pluies et la saison sèche, nous souffrons de manque d’eau pour irriguer les champs de riz. Nous sommes parfois obligés d’utiliser des motopompes pour tirer l’eau du bassin », poursuit Akoli Bernadette. Le Sud-Togo où est située la commune du Zio 2 connaît deux saisons des pluies (une petite et une grande) et deux saisons sèches (une petite et une grande). Il faut toutefois faire remarquer qu’il y a d’importants bouleversements au niveau de ces saisons qui ne sont plus régulières. Ainsi, l’on se retrouve certaines années avec une seule saison des pluies qui parfois n’est même pas très pluvieuse. L’on ne doit donc pas s’étonner qu’il y ait des problèmes d’accès à l’eau.
Pour faire face aux difficultés, le Comité de gestion du périmètre (CGP) a établi un calendrier par rapport à l’irrigation des champs. Mais, il arrive que des producteurs ne respectent pas ce calendrier. Ils utilisent l’eau les jours où ils ne sont pas programmés. Certains érigent des barricades par endroits dans le canal pour détourner le flux d’eau vers leurs exploitations. Cela entraîne des conflits, et même… des coups de poings et de machettes.
« Quand on se rend compte que tu irrigues ton champ à un jour où tu n’étais pas programmé pour le faire, on peut éteindre ta motopompe. L’on peut aussi assister à des extrêmes, notamment des menaces à base de couteaux ou de machettes », déplore madame Akoli. L’on a souvent eu à enregistrer des blessés.
Des efforts sont fournis par le CGP pour que la situation n’échappe pas à tout contrôle, notamment un conflit communautaire pouvant occasionner des pertes en vies humaines. « Nous avons un sous-Comité qui gère l’eau. S’il y a un problème quelque part, c’est lui qui intervient », révèle Aoudou Aminou, secrétaire général du CGP.
Vétusté des canaux et insuffisance des capacités du barrage
« Le barrage duquel est issue la canalisation était prévu pour une superficie d’environ 600 hectares. Actuellement avec le projet Partam (Projet d’aménagement et de réhabilitation des terres agricoles dans la zone de Mission Tové), cela va aller au-delà de 1000 hectares. Dans ces conditions, l’on ne peut pas éviter les problèmes liés à l’eau. Ainsi, l’eau devient rare à certaines périodes de l’année, surtout pendant la saison sèche », fait remarquer Koudjagbo Kodjo Apélété, producteur de riz et conseiller municipal à la commune du Zio 2.
« L’infrastructure se détériore. Par moments vous allez voir des canaux se désintégrer d’eux-mêmes. Cela entraîne des fûtes intenses d’eau. Si vous longez le périmètre, vous allez remarquer qu’à certains endroits, les canaux sont déformés et que l’eau s’échappe. Cela constitue des pertes pour le périmètre. Au fait, le périmètre date de très longtemps. Il a été construit autour des années 1975 par les Chinois », ajoute le représentant des producteurs de riz au sein du Conseil municipal. Le CGP a instauré le payement d’une redevance sur l’utilisation de l’eau du bassin d’irrigation. Cette redevance s’élève à 15 000 FCFA l’hectare par an. L’on envisage d’augmenter cette redevance à 30 000 FCFA. Avec ce fonds, le CGP essaie de réparer les parties du bassin qui connaissent des détériorations. Mais, cela ne suffit pas.
« Nous recommandons le curage du barrage à la source pour lui donner une plus grande capacité de rétention d’eau. Il faudrait aussi envisager la mise en place d’une police de l’eau qui veillera à l’utilisation rationnelle de la ressource. Le respect des consignes données par rapport à l’utilisation de l’eau aidera à résoudre ce problème. On peut aussi allonger certaines anciennes canalisations pour atteindre les lieux les plus reculés », préconise le conseiller municipal.
Mettre l’eau au service de la paix et non la paix au service de l’eau
La diplomatie de l’eau est un concept qui peut servir dans des situations comme celle de la commune du Zio 2. Mais que faire quand il y a des entraves à la diplomatie de l’eau ? « L’entrave à la diplomatie de l’eau se manifeste lorsqu’il y a des incompréhensions autour de l’utilisation de la ressource. La diplomatie de l’eau se définit comme étant tous le mécanismes, moyens mis en œuvre pour prévenir les conflits, les tensions qui ont pour cause directe ou indirecte le partage de l’eau. Quand le partage n’est pas équitable, que l’eau n’est pas utilisée à bon escient par tous les utilisateurs, qu’une seule entité accapare la ressource, qu’il n’y a pas de dialogue entre les différents acteurs, l’on assiste à des entraves à la diplomatie de l’eau », affirme Flamay Ahiafor, spécialiste WASH (eau, assainissement et hygiène) et GIRE (Gestion intégrée des ressources en eau).
Au niveau de la commune du Zio 2, l’eau est au centre de plusieurs activités dont l’agriculture, plus précisément la production rizicole etc… Donc, les tensions ne vont pas manquer. Ce sont des tensions d’accès entre divers usages. Par exemple, chaque usager va vouloir prioritairement satisfaire ses besoins. Il y a aussi des tensions entre éleveurs nomades et locaux qui passent à travers les champs et les agriculteurs.
« La solution est d’aller vers une Gestion intégrée des ressources en eau. Cela veut dire que tous les acteurs doivent se réunir autour de la ressource. L’eau doit être gérée simultanément avec toutes les autres ressources dont les terres. Ce sont des ressources qui sont intrinsèquement liées à travers le cycle de l’eau. Donc il faut aller à cette gestion écosystémique qui permet de redéfinir les ressources dont on dispose. Pour y parvenir, il faut faire un diagnostic de la ressource, savoir la quantité dont l’on dispose et l’usage que l’on veut en faire, en concertation avec tous les acteurs », conseille le spécialiste.
« Quelle que soit la source d’eau, il y aura toujours des conflits. Ce qu’il faut faire, c’est de mettre l’eau au service de la paix, et non la paix au service de l’eau », recommande pour sa part le Dr Boubacar Barry, membre du secrétariat du 9e Forum mondial de l’eau tenu à Dakar (Sénégal) en mars 2022. Autrement dit, c’est le désir de gérer la ressource au profit de tous qui doit générer la paix, et non le contraire.
La lutte contre les changements climatiques est un autre combat pour l’eau
A l’instar d’autres communautés dans le monde, en Afrique et au Togo, la commune du Zio 2 souffre aussi des impacts des changements climatiques, notamment la rareté des pluies et donc des ressources en eau. « La rareté des pluies s’explique par les changements climatiques. La coupure anarchique des arbres qui bordent le fleuve Zio agit sur la pluviométrie. En effet, la canalisation puise sa source de là », reconnaît monsieur Koudjagbo. Les dispositions sont prises pour sensibiliser la population sur la nécessité de préserver le couvert forestier. En dehors de cela, l’on entreprend d’augmenter la couverture forestière par des campagnes de reboisement. C’est en préservant les ressources naturelles que l’on pourra envisager une réelle Gestion intégrée des ressources en eau.
Edem Dadzie
Article rédigé dans le cadre des activités du Réseau des journalistes africains spécialisés sur le développement durable et le changement climatique, créé par l’association Africa 21