Yonas Alemu est un entrepreneur éthiopien engagé auprès des agriculteurs pour les aider à tirer profit de la commercialisation du teff, la plus petite céréale du monde, originaire de la Corne de l’Afrique. Son entreprise de transformation du teff, Lovegrass , lutte contre la biopiraterie, c’est-à-dire l’exploitation sans autorisation des connaissances indigènes.
“Le fait que nous soyons exclus du système et que l’Éthiopie, ses agriculteurs et ses habitants ne bénéficient pas du tout de l’exploitation du teff est quelque chose que nous ne devrions pas accepter. Et personnellement, je ne l’accepte pas “, affirme Yonas Alemu. Dans les années 80, il a quitté sa famille pour poursuivre ses études en Europe, puis a commencé à travailler dans la finance.
En 2015, une prise de conscience soudaine a changé le cours de sa vie : “Le teff devenait de plus en plus populaire dans les supermarchés britanniques mais pas un seul kilogramme ne provenait d’Éthiopie ! Il était cultivé en Amérique, en Afrique du Sud, en Espagne et en Australie”, déplore-t-il.
Ce phénomène est également connu sous le nom de biopiraterie, un concept encore méconnu que l’avocat Patrik Agejo, spécialiste du sujet, décrit comme “l’exploitation et la commercialisation de ressources biologiques sans compensation pour le propriétaire d’origine de ces plantes “.
Cette exploitation favorise généralement les pays occidentaux au détriment de pays marqués par l’instabilité politique et économique, comme l’Éthiopie.
Ainsi, en 2003, après avoir mené des recherches avec l’État éthiopien, une entreprise néerlandaise a déposé un brevet controversé sur la farine de teff. En 2020, suite à un procès intenté par le gouvernement éthiopien, la licence de l’entreprise a été invalidée.
Malgré cette victoire, il n’existe aucune réglementation internationale sur la biopiraterie. Cette absence de cadre juridique menace la capacité des agriculteurs éthiopiens à exploiter commercialement leurs cultures traditionnelles. C’est ainsi que Yonas Alemu s’est engagé à soutenir la production de teff.
Bien que l’Éthiopie en soit aujourd’hui le principal fournisseur au niveau mondial, la culture de cette céréale reste sous-exploitée : “Il est possible d’obtenir jusqu’à 3,2 tonnes par hectare. Actuellement, la productivité au niveau national n’est que de 1,8 tonne par hectare” explique Taye Tadesse, expert de l’Institut éthiopien de recherche agricole.
Les raisons de cette moindre productivité sont structurelles : les agriculteurs éthiopiens dépendent des bœufs et des vaches pour leur récolte et ont rarement accès aux machines. Ils ne bénéficient pas non plus d’autres variétés de la céréale, qui peuvent être cultivées plus facilement. Yonas Alemu, qui a grandi dans un foyer d’agriculteurs, est conscient des conditions difficiles dans lesquelles les cultivateurs doivent travailler.
“Nous avons grandi avec une sensation que nous appelons le kachi kachi. Cela faisait comme une pierre dans le ventre lorsque nous mangions notre injera (pain plat à base de teff). En fait, les vaches marchent sur les céréales si elles se trouvent sur le sol. Et lorsque les agriculteurs collectent le teff, du sable fin se retrouve dans l’emballage” précise le chef d’entreprise.
Cette situation empêche les agriculteurs éthiopiens de vendre leurs produits sur le marché… et c’est là que Lovegrass intervient ! L’entreprise collabore avec trois groupements d’agriculteurs et leur propose une formation ainsi que des variétés de semences pouvant être plantées à l’aide de machines.
“Avec tous ces engagements, nous permettons aux agriculteurs de produire davantage et nous leur donnons la capacité de commercialiser ce qu’ils produisent”, résume l’entrepreneur. L’année dernière, les agriculteurs de Lovegrass ont récolté deux tonnes de teff et cette année, Alemu s’attend à un chiffre encore supérieur.
LP