Climat, énergie, développement : Utiliser les richesses de l’Afrique pour répondre aux aspirations des peuples

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« Transition juste : une vision pour le climat, l’énergie et le développement de l’Afrique », est un rapport coécrit par un collectif d’experts indépendants et publié cette année. Il s’intéresse à l’intersection des crises rencontrées par l’Afrique, explique leurs origines et décrit une trajectoire possible. Le rapport met l’accent sur les pièges de développement à éviter et souligne les piliers fondateurs d’une stratégie centrée sur les objectifs de souveraineté alimentaire, d’une souveraineté énergétique entièrement renouvelable et d’une politique industrielle afrocentrique qui accentuerait la collaboration africaine et son contrôle des ressources.

L’Afrique regorge de possibilités et de ressources naturelles. Le potentiel d’énergies renouvelables du continent est 50 fois plus important que la demande d’électricité mondiale anticipée pour l’année 2040. Le continent possède également plus de 40% des réserves mondiales de minéraux clés pour les batteries et les technologies de l’hydrogène. L’Afrique compte aussi les plus vastes étendues de terres cultivables et une population jeune : 70% de ses habitants ont moins de 30 ans. Il est temps d’exploiter ces richesses pour répondre aux aspirations du peuple.

L’Afrique a le potentiel de faire de ce siècle, « le siècle de l’Afrique », un siècle qui propulserait les économies du continent en exploitant toutes les ressources d’énergies propres dont il est doté. « Nous sommes prêts à entrer dans un avenir alimenté par l’Afrique. Nous démontrerons que le continent peut parvenir à une industrialisation durable à faibles émissions de carbone », relève William Ruto, président de la République du Kenya, président du Comité des chefs d’État et de gouvernement sur le changement climatique.

Réaliser le potentiel du continent nécessite de nouvelles approches audacieuses, à la hauteur des défis existentiels posés par le changement climatique dont l’Afrique souffre de façon disproportionnée. Ces mesures audacieuses doivent s’accompagner d’un sentiment d’urgence aigu et éviter les écueils et pièges des trajectoires de mal-développement, qui ont autrefois retardé le continent. Reproduire les erreurs du passé en espérant obtenir de nouveaux résultats, n’est pas une option.

L’Afrique a montré que le changement climatique, l’accès à l’énergie, la pauvreté, le développement et les conflits sont des phénomènes étroitement liés, mais aussi des facettes du même phénomène. « Je suis convaincu qu’en s’affirmant et en suivant un programme centré sur le climat et le développement en utilisant le type d’approches communes décrites dans ce rapport, l’Afrique est en mesure d’atténuer l’urgence climatique et d’atteindre rapidement la prospérité », affirme le président William Ruto. Au-delà d’une simple vision, le rapport décrit également des moyens de mener à bien cette transition et propose des approches de financement qui permettraient de transformer cette nouvelle vision en réalité.

Répondre aux défis étroitement liés

L’Afrique compte plus d’1 milliard d’habitants et 55 pays, et donc diverses économies, ressources, écosystèmes et cultures. Toutefois, des dizaines d’années après leurs indépendances, les pays africains sont encore confrontés à la famine, la précarité énergétique, les conflits régionaux, l’oppression patriarcale, l’insécurité économique, les dettes et bien d’autres obstacles.

Or, ces difficultés auxquelles s’ajoutent d’autres crises structurelles de développement, s’aggravent de plus en plus avec le changement climatique. Les unes comme les autres sont concernées par les défis liés à l’énergie. L’Afrique doit développer sa production énergétique et l’accès à l’énergie, ignorer les systèmes énergétiques « sales », pour passer directement aux énergies renouvelables, abordables et propres.

Ancrer sa vision dans l’histoire

Les crises structurelles de l’Afrique sont encrées dans son histoire. Le colonialisme a façonné les économies et les sociétés de l’Afrique pour qu’elles répondent aux besoins en ressources et main-d’œuvre de l’industrialisation et du développement occidental. Les efforts postcoloniaux visant à corriger les déséquilibres, accentuer l’indépendance et stimuler l’industrie naissante se sont vus limités par les crises de l’énergie, les dettes et les politiques d’ajustement structurel.

Aujourd’hui encore, les pays africains se reposent essentiellement sur l’exploitation de matières premières : leurs économies sont donc fragiles, vulnérables aux crises et extrêmement dépendantes de facteurs externes.

Répondre aux insuffisances structurelles

Les économies africaines souffrent d’au moins trois insuffisances structurelles qui limitent leur potentiel de développement : un manque de souveraineté alimentaire, un manque de souveraineté énergétique, et la faible valeur ajoutée des exportations par rapport aux importations. A leur tour, ces insuffisances contribuent au déficit commercial structurel, à la dépréciation des monnaies africaines et à la pression d’émission de titres d’emprunt libellés en devises étrangères, renforçant ainsi la dette. La perte de valeur des monnaies et l’augmentation des prix à l’importation poussent généralement les gouvernements africains à distribuer des subventions et maintenir artificiellement les taux de change en s’endettant davantage.

Éviter les politiques de développement mal avisés

Biens que présentées comme des solutions à ces problèmes, un grand nombre de « politiques de développement » sont en fait des pièges structurels qui ne font qu’aggraver la crise. Les mesures visant à accroître les exportations à faible valeur ajoutée, renforcer le tourisme et encourager les investissements étrangers, augmentent souvent les importations d’aliments coûteux, de combustibles, d’intrants intermédiaires et de biens d’équipement.

Les travailleurs émigrent pour pouvoir envoyer plus de fonds à leurs familles, ce qui aggrave la fuite des cerveaux. La libéralisation des services financiers favorise la spéculation et l’instabilité. La privatisation génère des revenus pour les entités étrangères, qu’elles renvoient ensuite dans leurs pays d’origine. Les subventions des gouvernements, les réductions d’impôts et les réglementations laxistes attirent les sociétés transnationales. On observe ensuite un nivellement par le bas dans les nations africaines et les autres pays en développement. Puis, s’ajoute, l’évasion fiscale. Cela aboutit à un déluge de richesses transférées de l’hémisphère sud vers le nord, qui se chiffrerait à plus de deux milliards de dollars par an.

En plus de ces pièges de développement, un éventail de solutions considérées comme fausses par les rédacteurs du rapport, sont présentées comme des réponses à la crise climatique et énergétique. Ce sont : les marchés du carbone, le captage et stockage du carbone et la géo-ingénierie.

Renouvellement de la vision africaine

Pour se libérer de ces pièges et gérer un contexte extérieur à l’évolution rapide, une renaissance des idées endogènes et du leadership doit intervenir sur le continent. S’appuyer sur des projets existants comme l’agenda 2063, pourrait permettre de raviver une vision du développement véritablement centrée sur la population.

Elle serait formulée selon les valeurs et cultures africaines, dédiée à la réponse aux besoins de tous les Africains et focalisée sur la justice sociale, les valeurs féministes et les progrès significatifs. Un rôle international plus affirmé peut venir compléter cette vision africaine pour l’Afrique. Il inclurait une collaboration Sud-Sud et l’autonomie, un engagement renforcé en géopolitique et une réforme systématique de l’architecture internationale pour répondre aux défis africains et mondiaux.

Garantir la résilience des systèmes alimentaires, énergétiques et industriels est essentiel

L’accès de tous les citoyens à des aliments nutritifs, abondants, abordables, et qui correspondent à leur culture, constitue un objectif central du développement. Les Africains peuvent atteindre la souveraineté alimentaire s’ils abandonnent l’agriculture industrielle, centrée sur la culture de rente et tournée vers l’exportation, au profit de systèmes agroécologiques fondés sur la communauté.

Ceux-ci garantiraient des aliments nutritifs, des rendements durables, des moyens de subsistance certains et la résilience climatique. Ensuite, il est nécessaire de sortir du piège postcolonial qui donne la priorité aux industries d’extraction, à la production à la chaîne et aux exportations à faible valeur ajoutée. Le continent doit adopter une politique industrielle panafricaine qui développe les ressources africaines et les capacités en ressources humaines, élargit les marchés intérieurs et les économies d’échelle, et priorise les investissements stratégiques, la planification et le partenariat pour multiplier les possibilités, créer des emplois et sécuriser une part plus importante des bénéfices pour les Africains.

Des systèmes agricoles et industriels plus résilients requièrent nécessairement de l’énergie. Or, l’Afrique jouit d’une opportunité sans précédent de passer outre les systèmes énergétiques « sales » et obsolètes du passé pour adopter directement des systèmes plus modernes, décentralisés, fondés sur les énergies renouvelables et focalisés sur l’humain.

Edem Dadzie

Publié également dans le quotidien Togo Matin n°1194 du mercredi 14 juin 2023, page 10

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