Les organisations de la société civile africaine réunies au sein de Africa Coal Network (ACN), groundWork, 350.org Africa etc… viennent de publier une déclaration pour demander aux dirigeants africains de revoir leurs positions en matière de choix énergétique. Voici l’intégralité de la lettre :
À tous les chefs d’État et ministres africains,
Nous vous écrivons, avec inquiétude, au sujet de la proposition d’un comité technique de l’Union africaine (UA) pour une « Position commune africaine sur l’accès et la transition énergétique » qui sera lancée lors de la COP 27.
Pour les raisons exposées ci-dessous, nous, les organisations soussignées, représentant des mouvements et des groupes de la société civile de toute l’Afrique, vous demandons instamment de rejeter la « position commune » proposée.
Nous pensons que cette « position commune », élaborée par un comité composé de responsables nationaux de l’énergie et des transports :
- A été préparé à la hâte et sans consultation adéquate des scientifiques, des experts et des fonctionnaires responsables du changement climatique et, par conséquent, ne repose pas sur la base scientifique solide appropriée ;
- est incompatible avec les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, de l’Agence internationale de l’énergie et du Programme des Nations unies pour l’environnement ; et
- manque d’analyse critique sur les causes de la pauvreté énergétique, la transition énergétique nécessaire, les scénarios de politique climatique à long terme, les risques associés aux actifs échoués, la menace de la production de combustibles fossiles pour le développement durable et bien plus encore.
Nous pensons que la recommandation incluse dans la proposition de « position commune » visant à faire des combustibles fossiles un « élément crucial » du mix énergétique de l’Afrique à court, moyen et long terme :
- Ne répondra pas aux propres objectifs du Comité en matière d’accès et de transition énergétique;
- est incompatible avec l’objectif climatique de 1,5 °C fixé par l’accord de Paris, ni avec la position commune africaine actuelle sur le changement climatique, ni avec les objectifs de la COP27 ;
- risque de favoriser des niveaux de réchauffement planétaire aux conséquences catastrophiques pour l’Afrique ; et
- est incompatible avec les objectifs de développement plus larges de l’Afrique, mettant en danger l’Agenda 2063 et les objectifs de développement durable des Nations unies.
Nous nous joignons à d’autres organisations pour soutenir le Mémorandum exposant et rejetant la proposition de l’Union africaine pour une position commune sur l’accès à l’énergie et la transition énergétique en Afrique, qui décrypte la position du Comité de l’Union africaine et détaille les nombreuses préoccupations énumérées ci-dessus.
La position du Comité a été préparée dans l’urgence mais elle est maintenant proposée à l’adoption par les chefs d’État africains, et pour approbation par l’AGN, la CMAE et le CAHOSCC. Bien qu’elle se concentre sur « l’accès à l’énergie » et la « transition énergétique », elle ne fait aucune recommandation spécifique pour augmenter la production d’énergie renouvelable ou pour fournir de l’énergie aux 600 millions d’Africains qui n’y ont actuellement pas accès. Au contraire, elle privilégie les intérêts de l’industrie des combustibles fossiles et des gouvernements européens en cherchant à développer les infrastructures, la production et les exportations de combustibles fossiles.
Cette évolution fait suite à un récent vote de l’Union européenne visant à reclasser les projets d’énergie nucléaire et de gaz fossile comme « verts » afin de les rendre éligibles à des prêts et des subventions à faible coût. La raison sous-jacente de cette décision est l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe se tournant désormais vers l’Afrique pour assurer sa propre sécurité énergétique. Nous pensons donc qu‘il existe un risque que les investissements énergétiques de l’Afrique soient orientés vers la production de combustibles fossiles pour la consommation européenne, et non vers l’accès ou la transition énergétique pour les Africains.
De plus, la « ruée vers le gaz » en Afrique est dangereuse et de court terme. L’investissement de ressources limitées dans le gaz fossile immobilisera des actifs et des économies tout en menaçant les investissements potentiels dans des énergies renouvelables abordables, faciles à déployer, accessibles et dont les populations ont tant besoin.
Plutôt que de fournir à l’Europe davantage de combustibles fossiles nuisibles au climat, le programme de développement de l’Afrique et l’urgence climatique nous invitent à abandonner rapidement les technologies nocives basées sur les combustibles fossiles au profit d’un avenir fondé sur les énergies renouvelables.
Si elle est adoptée par nos chefs d’État, la position proposée pourrait ouvrir la voie à l’utilisation de la COP27 comme plateforme pour justifier une augmentation massive de la production de gaz fossile en Afrique, détournant ainsi l’attention des arguments en faveur des énergies renouvelables, enfermant le continent dans les combustibles fossiles pour les décennies à venir, tout en transférant sur le sol africain des technologies nucléaires dangereuses dont les Européens ne veulent pas.
C’est un moment qui nécessite une action urgente. Nous pensons que le comité technique de l’UA a commis une grave erreur. Nous vous appelons, en tant que chefs d’État et ministres responsables de l’avenir énergétique et climatique de notre continent, à rejeter la position commune proposée et à la remplacer par la suivante:
- Annoncer une politique en matière de combustibles fossiles conforme aux intérêts de l’Afrique en matière de développement et aux recommandations du GIEC, de l’AIE et d’autres organisations scientifiques, qui confirme que l’Union africaine condamne et ne soutient pas les nouveaux projets liés au charbon, au pétrole ou au gaz sur le continent africain.
- Encourager un dialogue transparent et significatif avec les citoyens et les décideurs politiques à travers le continent afin de construire un récit et un programme africain partagé pour relever les défis liés au climat, à l’énergie et au développement ; et
- Sur la base de ce dialogue, élaborer une position africaine commune sur l’accès à l’énergie et la transition énergétique, fondée sur des données scientifiques et factuelles, qui donne la priorité à la nécessité pour l’Afrique d’abandonner de toute urgence les combustibles fossiles nocifs au profit d’un système énergétique transformé, propre, renouvelable, démocratique et réellement au service des populations.