Comme d’habitude, la fin de la CoP a été repoussée de quelques heures. Cela a-t-il servi à quelque chose ? L’on évoque l’avènement du fonds sur les pertes et préjudices. C’est une première. Toutefois, la lutte est loin d’avoir porté ses meilleurs fruits. Voici les points saillants à retenir des négociations climatiques de Charm-El-Cheick.
L’objectif climatique des 1,5 °C remis en cause
Fin octobre 2022, plus de 1 000 scientifiques avaient jeté un pavé dans la mare : est-il réaliste de maintenir l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C alors que celui-ci sera dépassé dans moins de 10 ans ? Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, n’était guère plus optimiste en ouverture de la COP27, estimant que cet objectif était désormais « en réanimation ». Il s’agit pourtant d’un engagement majeur de l’Accord de Paris : « Limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 °C, de préférence à 1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle ». Mais depuis, la température ne cesse de grimper (+1,1 °C aujourd’hui) et les efforts des États restent insuffisants pour la contenir, à tel point que son inscription dans l’accord final à Charm-El-Cheikh est débattue.
Des pays émergents, tels que l’Inde, la Chine, ou les pays arabes semblent réticents à l’y intégrer. Mais ce serait un retour en arrière, que dénoncent les pays les plus vulnérables, notamment la coalition des petites îles (Aosis) dont certaines pourraient disparaître à cause de la montée des eaux. Le Groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat (Giec) est lui aussi très clair : « Les impacts du réchauffement seront bien plus faibles à + 1,5 °C qu’à + 2 °C. ». En tout cas, le G20, qui s’est réuni à Bali (Indonésie) en même temps que la CoP, a réaffirmé son ambition de poursuivre les efforts pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C, en accélérant la sortie progressive du charbon.
Pertes et dommages : 300 millions de dollars proposés, 580 milliards nécessaires
Enjeu majeur de cette « CoP africaine », la question du financement des conséquences irréversibles du changement climatique a cristallisé les tensions. Le vice-ministre de l’Environnement hondurien (Honduras), Malcom Stufkens, a estimé que cette question conditionnerait la réussite ou non du sommet. Si une dizaine de pays (dont la France, l’Écosse, la Belgique, l’Allemagne, l’Irlande, l’Autriche, le Canada…) se sont engagés à verser 300 millions de dollars pour dédommager les pays vulnérables, le ministre a estimé qu’« il y a un problème d’échelle. Nos besoins en termes de pertes et dommages devraient atteindre 580 milliards de dollars par an d’ici 2030 et 1 700 milliards de dollars d’ici 2050. » Les engagements pour 300 millions paraissent d’autant plus dérisoires qu’à l’exception de la France et de l’Autriche, il ne s’agit pas de nouveaux financements mais d’une redirection de fonds déjà prévus. « Les gouvernements se contentent de déshabiller Pierre pour habiller Paul », a dénoncé Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de Care France.
Autre point de tension : le mécanisme financier pour débloquer les fonds nécessaires. Réticente jusque-là, l’Union européenne s’est finalement rangée en faveur de la création d’un fond dédié aux pertes et dommages, à l’instar de 150 pays. D’autres solutions sont également sur la table : le G7 et le groupe d’États vulnérables V20 ont annoncé le lancement d’un « bouclier global », un système assurantiel d’un budget de 210 millions d’euros. Un système d’assurance « qui n’est pas le plus adapté pour répondre aux besoins des plus vulnérables », selon Fanny Petitbon. Dernière possibilité : une réforme des institutions financières (notamment le Fonds monétaire international et les Banques multilatérales de développement) pour leur permettre de débloquer davantage de fonds.
Adaptation : un système d’alerte précoce à 3,1 milliards
Il y a un an, le Pacte de Glasgow prévoyait que les pays doublent leur financement pour l’adaptation. C’était une attente forte de cette CoP, mais le sujet n’aura même pas passé le cap de la mise à l’agenda. Pourtant, doter l’ensemble des pays vulnérables d’un système d’alerte précoce ne coûterait que 3,1 milliards de dollars dans les cinq prochaines années, selon un rapport de l’ONU. « Les habitants d’Afrique, d’Asie du Sud, d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale et les habitants des petits États insulaires sont quinze fois plus susceptibles de mourir de catastrophes climatiques. Ces catastrophes déplacent trois fois plus de personnes que la guerre. Et la situation empire », a expliqué Antonio Guterres. La moitié des pays ne dispose pas de systèmes d’alerte précoce et encore moins d’un cadre réglementaire reliant les alertes précoces aux plans d’urgence. L’Union européenne a annoncé participer au projet à hauteur d’un milliard de dollars.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) estime qu’il faudra 50 milliards de dollars pour financer l’adaptation. « Il n’y a pas de temps à perdre. Le nombre de catastrophes répertoriées a quintuplé. Cette tendance devrait se poursuivre », prévient l’organisation.
28,5 milliards pour aider l’Afrique du Sud et l’Indonésie à sortir du charbon
En marge des négociations, de nouveaux types de partenariats se nouent. Après l’Afrique du Sud, le G20 et l’Indonésie ont signé un Jet-P (Just energy transition partnership, partenariat pour une juste transition énergétique). Les pays riches se sont engagés à aider ces deux nations à sortir du charbon. 20 et 8,5 milliards de dollars seront respectivement employés pour fermer les centrales à charbon, développer les énergies renouvelables et aider à la transition des travailleurs. Mais sur les 8,5 milliards promis à l’Afrique du Sud, seuls 3 % le seraient sous forme de dons, une situation que dénonce le site Climat home news. Ces nouveaux partenariats sont encourageants, mais sont révélateurs de l’inadaptation des modèles d’aide actuels.
Les 636 lobbyistes des énergies fossiles « ont bien travaillé »
Les lobbyistes du secteur des énergies fossiles étaient plus nombreux que les délégations des dix pays les plus touchés par le réchauffement climatique. Et « ils ont bien travaillé », a ironisé Nicolas Haeringer, de l’association 350.org, à quelques jours de la conclusion de l’accord final. Si l’Inde a poussé pour inscrire dans le texte final l’ambition de sortir de toutes les énergies fossiles, suivi par l’Union européenne, les États-Unis, Tuvalu, Vanuatu et l’AOSIS, la Nouvelle-Zélande et la Colombie, la mention a été éludée par le président égyptien dès la première mouture de l’accord final.
En outre, le Climate Action Network a dénoncé le fait que « les pays du G20 et les principales banques de développement fournissent chaque année 55 milliards de financements publics pour les énergies fossiles contre 29 milliards pour les énergies renouvelables. Cela n’est vraiment pas cohérent avec les objectifs climatiques ». 39 pays et institutions s’étaient engagés à arrêter les financements publics fossiles à l’international d’ici la fin de 2022. Il ne reste qu’un peu plus d’un mois avant la fin de l’année et seulement six pays ont respecté cet engagement, dont la France, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni et la Banque européenne d’investissement.