Une cheffe étoilée du Lesotho s’est rendu compte que si elle ne documentait pas la cuisine basotho, elle risquait de disparaître, et c’est donc devenu son principal projet. Son exemple doit réveiller le secteur de la gastronomie sur l’ensemble du continent africain où malheureusement, l’on tend parfois à délaisser les mets locaux plus nutritifs au profit d’aliments importés, hyper transformés.
Il y a quelques années, la cheffe étoilée du Lesotho, Ska Moteane, a reçu une demande plutôt inhabituelle de la part d’un client. Il souhaitait qu’elle intègre certains plats basothos dans le menu qu’elle préparait pour lui. “Et je me suis rendu compte que je ne savais même pas comment ils étaient cuisinés !”. Cheffe Ska se souvient en riant de cette conversation qui s’est déroulée en 2009, lorsqu’elle est retournée dans son pays d’origine après avoir renoncé à une carrière extrêmement fructueuse en Afrique du Sud.
“J’ai cherché partout, je suis allée sur Google, j’ai regardé dans les librairies… Je n’ai trouvé aucune recette de cuisine basotho.” C’est ainsi que Ska s’est rendu dans les régions les plus reculées de ce royaume montagneux, dans les villages qui ne sont pas desservis par des routes. Des endroits coupés de l’électricité et éloignés des commodités de la vie moderne. “Partout où j’allais, je cherchais des personnes âgées avec qui m’asseoir, pour qu’elles me racontent les histoires qui se cachent derrière leur nourriture et leurs plats”, se souvient-elle.
La cuisine que cheffe Ska a découverte était “simple” et pleine de “saveurs pures”. “Nous n’utilisons pas beaucoup d’épices. Nos plats ne contiennent que deux ou trois ingrédients”, explique-t-elle. Sorgho et haricots, amarante, légumes verts sauvages et épinards africains… La cheffe Ska redécouvre la nourriture de ses ancêtres et prend des notes. Elle découvre à quel point la nourriture basotho est “nutritive”. “En fait, nous n’avons pas besoin de plus que ce que nous avons, car nous avons toujours mangé des repas complets”, relève la cheffe.
Au début, les villageois ont accueilli cheffe Ska avec un mélange d’intrigue et d’étonnement. Après tout, les plats traditionnels basothos sont plus souvent considérés comme de la nourriture pour les pauvres et les plats traditionnels basothos ne sont pas très populaires dans les villes, de sorte que les villageois ont accueilli cheffe Ska avec un mélange d’intrigue et de perplexité.
Tout le monde se demandait : “Pourquoi ? Nous voulons des plats occidentaux et vous venez nous voir avec ces plats ennuyeux”, s’amuse Ska en se remémorant son voyage. Je me suis dit : “Écoutez, je veux juste le faire. Je veux juste que ce soit documenté. Je veux que ce soit là pour mes enfants, pour mes arrière, arrière, arrière-petits-enfants. Pour les générations futures”, a-t-elle répondu.
“Je n’ai jamais su comment les cuisiner”
À son retour, la cheffe Ska a standardisé les recettes et les a rassemblées dans un livre de cuisine intitulé Cuisine of the Mountain Kingdom : Cooking in Lesotho (Cuisine du royaume des montagnes : Cuisiner au Lesotho), qu’elle a ensuite publié à compte d’auteur. Rédigé en anglais, ce livre a piqué la curiosité des lecteurs au-delà des frontières du Lesotho : les interviews de la cheffe Ska ont été publiées dans des revues africaines, asiatiques et européennes.
“Quand je me suis auto éditée, c’était juste pour garder l’information”, se souvient-elle. “Je ne savais pas que le livre aurait autant de succès, j’étais étonnée que personne n’ait eu l’idée d’écrire un tel livre auparavant”, affirme-t-elle. En 2012, Ska a remporté le prestigieux Gourmet Cookbook Award pour le meilleur livre de cuisine africaine. Mais le retour le plus remarquable est venu du peuple basotho lui-même.
Les basothos disaient : “Je n’ai jamais su comment préparer ce plat. Ma grand-mère avait l’habitude de le préparer, elle est décédée avant qu’elle puisse m’apprendre la recette”.
Aider les agriculteurs des hauts plateaux
Complètement entouré par l’Afrique du Sud, le Lesotho est fortement dépendant de son riche voisin pour ses ressources, y compris les envois de fonds. En essayant de cuisiner des recettes traditionnelles, Ska a réalisé l’ampleur du défi que représente l’obtention d’ingrédients cultivés localement. Les petits exploitants agricoles ont du mal à acheminer leurs produits vers les villes, qui se rabattent sur les produits importés.
“La pandémie de Covid-19 nous a montré les dangers de dépendre des importations, puisque les frontières ont été fermées”, souligne-t-elle. “Nous travaillons maintenant très, très dur pour récupérer la souveraineté alimentaire, pour nous assurer que nous nous nourrissons nous-mêmes”, a-t-elle déclaré. Une fois que Ska a fini d’écrire son livre, elle a commencé à sensibiliser les agriculteurs sur l’importance de la production et de la distribution d’ingrédients locaux.
Serge Lenoir