Selon une nouvelle étude, la sécurité des principales importations alimentaires de l’Union européenne est de plus en plus menacée par des facteurs environnementaux, ce qui soulève des questions épineuses quant à la préparation et à la réponse politique de l’Union.
Contrairement à d’autres études plus modestes, qui se concentraient uniquement sur la vulnérabilité climatique des importations alimentaires, l’étude réalisée par le cabinet de conseil Foresight Transitions examine également les niveaux de perte de biodiversité subis par les pays exportateurs concernés.
L’étude analyse ces paramètres pour six importations alimentaires clés : le maïs, le riz et le blé (choisis comme produits de base de la sécurité alimentaire mondiale) ; et le cacao, le café et le soja (choisis comme produits d’importation clés pour la production et les exportations agroalimentaires de l’UE).
Les conclusions de l’étude donnent à réfléchir. Les chercheurs ont constaté que plus de la moitié des importations de chacun des six produits alimentaires importés provenaient de pays vulnérables sur le plan climatique, disposant de ressources limitées pour s’adapter.
Cette situation est particulièrement sensible dans le cas du riz, par exemple, dont plus d’un tiers de l’approvisionnement total de l’UE, d’une valeur de 1,5 milliard d’euros par an, est aujourd’hui menacé par l’aggravation des effets du climat.
En outre, trois de ces produits (le blé, le maïs et le cacao) sont fortement menacés par les effets liés à la dégradation de la biodiversité, ce qui amplifie la menace que le climat fait déjà peser sur l’approvisionnement et accroît le volume de production menacé.
Risques climatiques
Camilla Hyslop, auteure principale du rapport explique : « Il ne s’agit pas de risques abstraits : cela se traduit déjà par des effets négatifs sur les entreprises et les emplois, ainsi que sur la disponibilité et le prix des denrées alimentaires pour les consommateurs. Et ces risques ne font qu’empirer ».
« Pour la seule année 2024, les inondations au Royaume-Uni et en France ont réduit la production de blé, et les températures élevées en Europe de l’Est ont perturbé les cultures de maïs, rendant les importations cruciales pour la sécurité alimentaire, tandis que les précipitations plus importantes ont laissé le cacao pourrir en Afrique de l’Ouest, créant des vents contraires pour les producteurs de chocolat », affirme la responsable.
« Sans parler des tendances à long terme de baisse de la production, comme les précipitations extrêmes qui ont fait chuter les rendements du riz chinois au cours des deux dernières décennies », a-t-elle ajouté.
Camilla Hyslop insiste : « Les effets du climat sont aggravés par le déclin de la biodiversité, qui rend les exploitations agricoles et les écosystèmes environnants beaucoup moins résistants aux chocs climatiques et autres. Non seulement les exploitations agricoles moins biodiversifiées sont moins résistantes aux maladies des cultures, mais ces maladies apparaissent souvent en raison de la diminution de la biodiversité ».
« Les rendements sont également affectés de manière plus générale par le défrichement de la végétation indigène, qui peut modifier les microclimats locaux, et par des pratiques telles que la monoculture, qui appauvrissent le sol et endommagent les écosystèmes biologiques sur lesquels repose la production alimentaire », martèle l’auteure principale du rapport.
Risques liés à la biodiversité
L’UE a doublé sa dépendance à l’égard des importations de maïs au cours de la dernière décennie (passant d’environ 10% à 20%), en partie à cause des sécheresses nationales, si bien que 90% des importations proviennent aujourd’hui de pays vulnérables aux risques climatiques, tandis que 67% proviennent de pays dont le classement en matière de biodiversité est “moyenˮ ou inférieur (le niveau moyen étant nettement inférieur aux niveaux d’intégrité de la biodiversité considérés comme sûrs).
Cependant, en tant que premier producteur et exportateur mondial de chocolat, c’est l’industrie chocolatière de l’UE (dont la valeur est estimée à 50 milliards de dollars) qui est la plus menacée ; 97% de ses intrants de cacao provenant de pays dont la résilience climatique est à un niveau “moyen-bas” ou “bas”, tandis que 77% proviennent de pays dont la biodiversité est à un niveau “moyen” ou inférieur.
Les importations européennes de cacao sont centrées sur quelques pays d’Afrique (Côte d’Ivoire, Ghana, Cameroun, Nigeria) où les impacts sur le climat et la biodiversité se cumulent. Tous ces pays devraient voir les tendances négatives actuelles en matière de climat et de biodiversité s’aggraver d’ici à 2030 et au cours des décennies suivantes.
« L’Union européenne paye un prix de plus en plus élevé pour les importations de cacao en raison de ces pressions environnementales, avec une valeur totale des importations en hausse de 41% au cours de l’année dernière », relève Camilla Hyslop.
Cette hausse des prix du chocolat est également due à l’augmentation du prix du sucre liée au climat, ce qui met en évidence la “double peine” environnementale à laquelle sont confrontés non seulement les chocolatiers, mais aussi d’autres types de producteurs qui utilisent de multiples intrants sensibles à l’environnement.
Quelles solutions ?
Bien que l’UE produise un large éventail de denrées alimentaires pour sa propre consommation, elle dépend toujours des importations agroalimentaires. En 2023, l’UE a importé pour 158,6 milliards d’euros de produits agroalimentaires des quatre coins du monde.
La valeur de ces importations représente un peu moins de 10% des dépenses totales de consommation alimentaire de l’UE.
Selon Mark Workman, directeur de Foresight Transitions et co-auteur du rapport : « Dans ce contexte, il est clair que les importations font partie intégrante de la sécurité alimentaire de l’UE et que nos recherches démontrent que cette sécurité alimentaire est de plus en plus menacée par la double vulnérabilité des pays partenaires en matière de climat et de biodiversité ».
« S’il est de bon ton d’affirmer que le reshoring permet de remédier à ces vulnérabilités, la vérité est qu’il s’agit d’une réponse tout à fait insuffisante en soi », fait observer le responsable.
« Non seulement l’UE aurait du mal à cultiver certains de ces produits en grandes quantités, mais elle est également confrontée à ses propres menaces en matière de climat et de biodiversité, sans parler des implications négatives en termes d’utilisation des terres d’une délocalisation importante de la production alimentaire », explique Mark Workman.
« Il est donc tout à fait dans l’intérêt des décideurs politiques de l’UE d’investir sérieusement dans la résilience climatique des producteurs partenaires ainsi que dans les infrastructures commerciales d’outre-mer, telles que les ports, qui soutiennent ce commerce, et qui sont également soumises à des contraintes environnementales », recommande le directeur de Foresight Transitions.
« C’est un message important à faire passer à une époque où les budgets d’aide publique au développement sont souvent opposés aux investissements dans la défense et la sécurité : en vérité, ce sont les deux faces d’une même pièce », note-t-il.
Le rapport présente une série de recommandations politiques visant à sécuriser les importations alimentaires de l’UE, telles que des mesures de soutien aux petits exploitants qui fournissent la majorité du cacao à l’UE.
Edem Dadzie